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« À tout prendre je préférais encore le Franc à l’Euro, mais je crois pas qu’on y reviendra »
J’ai croisé ce matin un représentant de commerce dans l’intimité d’un vieux compartiment de train. Ça ne se fait plus les compartiments, il y a belle lurette que l’on ne se parle plus dans les trains.
Il est monté, sacoche à trésors en bandoulière et chaussures «qualité orthopédique » aux pieds.
Il avait connu le Franc comme on avait connu la guerre.
Alors me voici en train de discuter avec mon représentant et ses 40 ans de tournées.
Et qu’est-ce que ça peut bien lui faire qu’on le paie en euros plutôt qu’en francs ?
Ça lui fait qu’avec l’Euro tout est plus cher. Ça a tout déglingué.
Il me propose un bonbon. Vous voyez, me dit-il, ce paquet de bonbons, il m’a coûté qu’un euro… Mais ça fait quand même 6 Frs 50 !
Oh ces bonbons ! Je ne savais même pas qu’ils existaient encore. J’achetais les mêmes avec mon argent de poche à la sortie de l’école. Ils me coûtaient une de ces pièces de 2 Frs, celle avec la gravure octogonale. Du haut de mes 12 ans, il me semblait qu’elle en valait plus cher.
Entre 1996 (l’année de mes 12 ans) et 2018, le salaire minimum a augmenté de 70%. Mais ce petit paquet de bonbons, lui, vaut 3 fois plus cher : +300%.
Alors mon représentant, qui ne gagne même pas cette escroquerie intellectuelle qu’est le SMIC, il ne s’y retrouve pas.
Il n’a pas besoin des rapports de l’INSEE pour savoir que l’Euro lui a rendu la vie plus chère comme à toutes les petites gens de ses clients.
Il m’a dit comment il s’était remis au troc : il y en a un, la semaine dernière, je lui ai apporté un téléphone et il m’a payé avec des cartouches d’encre, j’en avais besoin. Lui il fait des cartouches d’encre. C’est comme cela qu’on fait. Sinon on y arrive pas.
Et la TVA et les cotisations ? Je me suis vu un instant en agent du fisc à lui mettre un redressement. Voilà donc en chaire et en os un de ces fraudeurs que la nouvelle loi contre la fraude fiscale entend combattre.
C’est aussi lui que l’on met à genou en préparant la fin de l’argent liquide.
C’est encore lui qui s’est levé à 6h du matin à 61 ans pour gagner moins de 1 000€ par mois que l’on méprise et que l’on cloue au pilori en rigolant.
C’est lui et les dizaines de millions de la France modeste et travailleuse que l’on assassine en silence.
Je n’avais plus vue de représentant de commerce depuis au moins 20 ans. Il ne doit plus y en avoir beaucoup. La loi et les règlements finissent de les asphyxier bien plus sûrement que leur clientèle qui ne disparaît pas si vite que l’on croit.
En commençant cette lettre, je me suis dit que j’allais mettre des chiffres et de l’analyse derrière la souffrance de ce représentant de commerce, et de ses clients qu’il est le dernier à visiter dans l’oubli de nos campagnes mortes.
J’allais vous montrer que l’inflation officielle était une vaste escroquerie, que le braquage de vos économies, maigres ou conséquentes se faisait directement au niveau de la monnaie.
À quoi bon. Tout cela, mon représentant le sait sans avoir besoin du gris-gris des chiffres et des analyses aussi vides que savantes.
Non, ce qui importe, c’est qu’il s’est déjà remis au troc.
Je crois qu’il a raison ce représentant dont je ne connais même pas le nom. On ne reviendra pas au Franc. On reviendra au troc. Lui, y est déjà.
Oh il ne s’en plaint pas, même sa misère est modeste. Elle se dit en mots courts, sans fard ni théâtre.
Il sait pourtant ce que tout le monde ignore désormais : la monnaie est une condition essentielle à la prospérité. Et nous l’avons détruite.
La monnaie aujourd’hui, est aux mains des banquiers. Ce sont eux les souverains, des souverains sans mandat ni contrôle.
Au coeur de la fronde, durant la nuit du 6 février 1651, le jeune Louis XIV fut réveillé en pleine nuit : le Palais Royal avait été envahi et le peuple de Paris défilait fourches en main, devant son lit pour s’assurer qu’il ne s’était pas enfui. Essayez d’imaginez la scène aujourd’hui alors que pas un banquier n’a été en prison après la crise de 2008 qui leur est directement imputable.
Après 10 ans de crise et un nouveau spasme qui monte, sans doute vaut-il mieux encore le troc que leurs lois nauséabondes. Mais il faut reconnaître que c’est peste ou choléra.
Alors nous nous rendrons compte de la folie de ceux qui nous gouvernent et de la notre de les avoir laissé faire.
À votre bonne fortune,
Guy, L’investisseur sans costume.
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C’est superbe, poétique pour un sujet qui ne l’est pas.