Dans ce moment de panique, je n’ai peur que de ceux qui ont peur
Victor Hugo
Quelque part la colère flambe, une panique se déclenche et
toute la communauté, par un effet de contagion instantané,
se précipite dans la violence.
René Girard
Mon cher lecteur,
Cette lettre est importante peut-être même fondamentale.
Après Davos cet hiver, l’Assemblée hier : revoilà Greta Thunberg adolescente averdissante, venue à l’Assemblée adresser ses remontrances aux députés.
Cet hiver elle nous disait :
« je veux que vous paniquiez . »
Et hier :
« Vous devez écouter les scientifiques. Unissez-vous derrière la science. »
Ensemble cela fait :
« vous devez écouter les scientifiques et paniquer. »
Je ne suis pas en train de caricaturer son message, à chaque fois ses interventions sont simples et développent un message unique sans équivoque.
Surtout, ces phrases ne sont pas anodines. Elles renvoient à un mécanisme anthropologique puissant.
Mon cher lecteur, aujourd’hui nous allons faire de l’anthropologie. Nous allons remonter à des mécanismes primordiaux, archaïques du fonctionnement de nos sociétés. Et si je fais bien mon boulot, cela devrait trouver des échos dans votre vie de tous les jours (vous me direz).
Les commanditaires
Donc, face au changement climatique, vous devez écouter la science et paniquer : c’est le programme de Greta Thunberg certes, mais surtout de ceux qui la propulsent.
Évacuons la pauvre adolescente suédoise. Je ne doute pas de l’honnêteté de ses sentiments mais nous sommes loin des boniments d’enfant dont la naïveté et la spontanéité feraient sourire d’indulgents parents.
Nous sommes à l’Assemblée Nationale.
Nous sommes surtout à Davos, au Forum Économique Mondial, parade annuelle des grands de ce monde et grand exercice de communication. Il n’y a pas de place pour l’improvisation, les aléas du direct n’y existent pas.
À l’Assemblée, Greta Thunberg a été invitée par le collectif de députés Accélérons (la transition écologique et solidaire). Elle complète la ritournelle présidentielle vigoureusement servie à chaque échec politique : c’est que nous n’en avons pas fait assez, il faut plus de réformes, plus vite, plus fort. Et si vous ne nous croyez pas, ce n’est pas grave : vous DEVEZ au moins croire la science unanime. Aussi, paradoxalement, la petite Greta Thunberg qui vient gronder les députés et souffleter les absents et les sceptiques… leur est bien utile.
On sait moins qui sont les gens derrière Davos.
Ceux qui ont invité Greta Thunberg à Davos sont Christine Lagarde, future présidente de la BCE, Ursula von der Leyen future présidente de la Commission Européenne, Al Gore, homme politique américain et militant climatique, Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre. Il y a aussi le patron de Siemens, l’ancien patron de Nestlé, la ministre des affaires étrangères du Canada…
Tous ces gens font partie du Conseil d’Administration du Forum de Davos et sont, selon le site du forum :
« des individus exceptionnels, qui agissent en gardiens des missions et valeurs du Forum, et supervisent le travail du Forum pour la promotion d’une vraie citoyenneté mondiale. »
Donc lorsque Greta Thunberg veut que vous paniquiez, tous ces individus exceptionnels approuvent et estiment qu’ un « vrai citoyen mondial » qui se respecte devrait être en situation de peur panique.
Ah.
Nous passerons aujourd’hui sur le fait qu’ une citoyenneté mondiale est par essence un totalitarisme : un citoyen est un membre d’une cité dont il accepte librement l’organisation, les droits et devoirs… Mais si votre cité est le monde entier, vous n’avez plus de choix, vous ne pouvez pas la quitter pour une autre (pas encore). Sans liberté il ne peut être de consentement et sans consentement, pas de citoyen : un citoyen du monde, cela n’existe pas. Les cochons d’Orwell n’ont pas encore effacé le mot liberté du fronton de nos mairies.
Mais qu’importe ce « détail »: ces gens font la promotion de la panique, c’est-à-dire des foules hystériques, violentes et déshumanisées.
Les mots sont importants.
Il n’y a pas de bonne panique.
Le discours de Davos évoque également une maison qui brûle. Il nous faudrait paniquer comme si nous étions pris au piège de notre maison en feu.
Ces gens ont-ils perdu le sens commun ? Et vous, vous les inviteriez dans l’école de vos enfants faire de la prévention ? Imaginez-les distribuer leurs dépliants :
« en cas d’incendie, ayez le bon réflexe : paniquez. Ceci était une communication du Forum de Davos ».
Et pourtant, elle tourne, cette phrase dans tous les médias : Je veux que vous paniquiez. Elle ne choque même pas tant elle se fond dans le bruit ambiant.
Avant d’être un nom puis un verbe, panique est un adjectif qui signifie littéralement qui vient du dieu Pan, mi-homme, mi-bouc, dieu de la nature sauvage et puissante.
Le mythe rapporte que lors d’une bataille dans une vallée encaissée, Pan fit faire un grand bruit à son armée. Le bruit démultiplié par l’écho inspira la terreur à l’ennemi qui s’enfuit sans combattre : la peur panique est une terreur infondée qui inspire une mauvaise décision. On retrouve ce sens de peur sans fondement dans le terme panique nocturne ou crise de panique.
Pan était également d’aspect repoussant. Incapable de trouver l’amour, il se vengeait par une lubricité dévorante qui inspirait la terreur aux hommes qui s’enfuyaient à sa seule vue.
Pour cela, Pan est également le dieu des foules hystériques et des désirs inassouvis.
Non vraiment, il n’y a pas de bonne panique.
Il y en a d’utiles en revanche.
Mauvaises mais utiles
Une crise de panique collective a pour effet de vider le groupe de son énergie et de sa violence.
C’est comme une purge qui permet de vider le trop plein de violence et de chaos.
C’est l’idée qu’a développé le philosophe et anthropologue René Girard, et qu’il appelle « crise mimétique », moment dans une société où les membres du groupe n’arrivent plus à vivre ensemble et s’élèvent tous les uns contre les autres en ayant oublié jusqu’aux raisons de leur violence.
Nous sommes en train d’entrer dans un de ces moments.
René Girard observe le même cycle de violence et le même mécanisme de résolution à l’oeuvre dans toutes les cultures archaïques autour du monde : à un moment donné au plus fort de la crise, la violence diffuse et éparse se concentre sur une victime unique et arbitraire, un bouc émissaire à qui le groupe fait spontanément porter tous les maux et contre lequel il se déchaîne et massacre dans une crise de panique.
Cela fonctionne à tous les niveaux, aussi bien une famille, qu’une entreprise, une ville ou un pays.
Le corps humain fonctionne lui-même comme cela : une crise de panique, sans soigner, permet au moins de purger un trop-plein d’angoisse et de violence.
Dans l’histoire, le phénomène s’observe dans sa pire violence contre les juifs lors de la Shoah, contre les protestants lors de la Saint Barthélémy, contre les Tutsi au Rwanda, contre les koulaks en Union soviétique…
Mais c’est aussi un phénomène comparable à l’œuvre avec François de Rugy ou François Fillon dont les comportements abusifs n’en étaient pas moins courants et acceptés, du moins le pensaient-ils.
Les réseaux sociaux et les médias en général sont une formidable caisse de résonance à cette focalisation de la violence.
Nous assistons chaque jour à notre dose de haine ordinaire qui nous permet d’évacuer la notre. Oui, les médias passent leur temps à mettre en scène la violence dans des sacrifices médiatiques aux rites bien réglés. C’est odieux, et nous le reconnaissons tous, ce que nous savons moins c’est que c’est utile, tout du moins comme un pis aller.
Orwell avait bien vu l’utilité de la violence en propagande quand il imagine sa minute de la haine, pour son roman 1984.
Quand à Davos et à l’Assemblée ils annoncent : Vous DEVEZ croire les scientifique et paniquer, c’est qu’ils anticipent la crise, non pas écologique mais sociale… Et son mécanisme de résolution.
Le retour de l’arbitraitre
Bien évidemment, nous traversons une crise écologique majeure. Les responsables de cette crise sont nos élites d’abord, qui se sont gavées de mondialisation, de main-d’oeuvre et de pétrole pas cher, puis nous qui les avons laissés faire et nous sommes satisfaits de leurs mensonges.
Paradoxalement, quand ils vous disent de vous unir derrière la science, ils ouvrent grand la porte à l’arbitraire. Bien évidemment, le raisonnement scientifique est incontournable pour résoudre les problèmes de notre temps. Mais qu’est-ce que La Science, si ce n’est une nouvelle idole qu’ils vous demandent d’adorer ? La science aussi se trompe. Elle ne fait même que cela. Il n’y a pas d’unité scientifique, c’est une fiction. L’approche scientifique se nourrit de doute, d’erreurs et de confrontation. Vous ne pouvez fonder une réflexion uniquement sur la science. La science est une chose, mais l’expérience, la mémoire, la charité ou l’humanisme en sont d’autres tout aussi importantes. Avec la science pour seule boussole, celle-ci peut bien montrer le sud, vous n’avez plus aucun moyen de vous en rendre compte : c’est le grand retour de l’arbitraire.
D’ailleurs quand Greta Thunberg vient à Davos et à l’Assemblée, elle ne parle pas des solutions à mettre en œuvre, elle ne doute pas, elle ne cherche pas la vérité, elle prépare un autel pour un sacrifice dont la victime désignée est la classe moyenne occidentale, de préférence mâle et blanche.
La terre peut bien se réchauffer, se refroidir ou ne rien faire du tout, peu importe. Ce n’est pas la question. L’autel se dresse et la victime sera bientôt avancée.
Mensonge et détournement
La menace écologique est détournée au profit d’un ordre social archaïque.
Le grand apport de la culture occidentale chrétienne selon René Girard est d’avoir levé le voile du mensonge sur ce fonctionnement archaïque de nos sociétés. La culture chrétienne reconnaît l’innocence du bouc émissaire au travers de la Personne du Christ, elle permet de s’extraire du cycle archaïque de violence mimétique. Il déclarait d’ailleurs lors d’un entretien :
« S’il y a un principe fondamental dans la pensée moderne et peut-être le plus odieux et qui au fond nous suit depuis le début du XIXe siècle c’est que ce qui est bon et ce qui est vrai sont deux choses forcément séparées. Je crois qu’en ce moment, ce qui est en train de s’effondrer, c’est ce principe. »
Le grand mensonge de notre époque est la prise en otage de la menace écologique pour la détourner à des fins de pouvoir et de puissance personnels. Il n’en sortira rien de bon.
À votre bonne fortune,
Guy de La Fortelle
PS : Cette lettre n’a pas de lien immédiat avec les questions économiques et financières que je traite habituellement. À mon avis la grande question anthropologique soulevée par Girard englobe largement mes petits sujets habituels. Nous connaîtrons des paniques financières avant longtemps. Les marchés financiers vont connaître, un jour où l’autre, un effondrement et c’est encore vous qui serez sacrifiés à l’autel des profits. Quand on ne peut pas gagner on peut au moins s’abstenir de jouer.