Ma chère lectrice, mon cher lecteur,
Nous sommes début 2018.
Votre groupe iliad, maison mère de l’opérateur Free, se porte bien, le nombre d’abonnés augmente, le chiffre d’affaires également et la marge davantage.
Mais vous êtes Xavier Niel et la gestion en bon père de famille ne vous intéresse pas.
Vous venez de saisir l’occasion de mettre un pied en Italie. Vous avez saisi à bon compte des fréquences issues de la fusion entre Wind et Tre Italia, les deux challengers de la téléphonie transalpine. Ils viennent de se regrouper pour dépasser les deux leaders et ce n’est pas à ces derniers qu’ils laisseront leurs fréquences superflues.
Cet investissement ne tombe pas au meilleur moment : Vous êtes en plein dans le déploiement des réseaux 4G et vous avez devant vous le déploiement de la fibre ET des réseaux 5G à financer.
Qu’importe : ce sont les clients et les actionnaires qui paient. Le groupe arrête de racheter ses actions, les déploiements prennent du retard et on laisse s’installer les offres à bas coûts des opérateurs historiques moins gourmands.
Logiquement les clients fuient et les actionnaires boudent : C’est la crise chez Free.
Vous vous mordez les doigts. Bien sûr que non : Peut-être vous en seriez-vous passé mais vous êtes Xavier Niel et vous savez qu’il ne faut jamais laisser perdre une bonne crise… Et vous avez un allié de poids, nous y reviendrons dans un instant, car M. Niel, tout puissant soit-il n’est pas démiurge.
Vous avez 50 % des actions du groupe, vous en profitez et en rachetez 20 % de plus.
Pour financer votre rachat, hors de question d’y mettre de votre poche : Vous appelez vos banquiers et montez un de ces fameux LBO, Leverage Buy Out. Ce sont les dividendes futurs de l’entreprise qui paieront l’acquisition. Pour cela vous créez une holding que vous appelez HoldCo.
L’opération est un succès : Fin 2018, vous possédez désormais 70 %
d’iliad.
Tout d’un coup, les dividendes explosent, ils sont multipliés par 5 en 3 ans ; les rachats d’action reprennent de plus belle. Les abonnés reviennent grâce à une reprise en main agressive des offres commerciales et des investissements : C’est la différence entre le patron et le simple actionnaire ; C’est lui qui décide.
Vraiment un simple actionnaire est-il tout sauf un propriétaire et peut se faire exproprier sans sommation : Vous le savez bien.
Vous en avez profité pour faire votre « mea culpa » goguenard dans la presse et pour faire le ménage dans les équipes dirigeantes : Ça coûte moins cher de virer quand ça va mal et en plus ce sont ceux qui sortent qui passent pour incompétents.
On s’extasie bêtement dans la presse de votre flair de grand patron qui a racheté pile au bon moment (merci aux journaux de beau-papa Arnault).
Mais comment faites-vous pleuvoir l’argent pour payer votre acquisition tout en investissant dans votre groupe et en étant attractif pour vos clients ?
Le talent ? Un peu. La dette surtout.
Fin 2016 iliad avait 1,6 milliard de dettes, l’équivalent du résultat du groupe… Fin 2020, elle s’élève à 7,8 milliards et représente 3,2 fois votre résultat.
Au fond vous n’avez appliqué que la bonne vieille méthode des fonds LBO qui rachètent des entreprises pour mieux les traire.
Vous connaissez bien le mécanisme vous l’avez appliqué avec Orange Suisse rebaptisé SALT après votre rachat : Vous vous êtes immédiatement servi 500 millions de dividendes dont 400 millions financés par une émission obligataire, par de la dette enfin, devant le regard médusé des Suisses peu habitués à de telles effronteries.
Sans doute étiez-vous déjà heureux de votre opération sur iliad en 2018.
Mais 2020 est arrivée et vous appliquez une nouvelle fois la maxime reine des cyniques : Ne jamais laisser perdre une bonne crise.
Vous en profitez pour acquérir les 25 % restant et retirer le groupe de la cote.
Attendez, 70 + 25 ne font pas 100 : C’est qu’il y a 5 % du management, les parts des fidèles, des porte-flingue et abatteurs de basses besognes, les Lombardini, Reynaud et autres.
Il ne s’agit pas d’exproprier vos lieutenants les plus fidèles et efficaces.
Vous riez en entendant votre directeur général Thomas Reynaud saluer la main sur le cœur votre nouvel engagement en faveur de Free et iliad, vous lisez dans la presse débilitée que les dirigeants ont apporté leur soutien à l’offre comme s’ils allaient vendre leurs actions tant l’affaire est bonne.
Mais vous savez bien que vous avez monté exprès une seconde holding HoldCo II pour leur faire une place : les simples actionnaires vendent leurs actions iliad mais eux les transforment en actions HoldCo II, c’est d’ailleurs écrit noir sur blanc dans les notes de la documentation réglementée : « The balance of HoldCo II’s share capital is held by corporate officers of the Group ».
Mais qui est assez bête pour lire encore les pavés d’information réglementée jusque dans les notes de fin de document ? Que reste-t-il du 4e pouvoir et de cette presse qui a oublié sa mission d’information lui préférant l’écuelle de la propagande courtisane ?
Ce n’est pas pour rien que vous avez racheté Le Monde et qu’avec les Pigasse, Drahi, Arnault et autres vous avez mis la presse sous coupe réglée.
Et de toute manière, autre avantage du retrait de la cote : Fini l’information réglementée, plus de publication obligatoire des résultats, vous allez pouvoir vous gaver à l’ombre de votre holding.
Vous allez le faire d’autant mieux que les télécoms sont un secteur quasi-public : Vous pouvez compter sur le soutien indéfectible du pouvoir politique, on ne coupe pas la laisse qui tient si bien le peuple.
D’ailleurs, l’ami Macron a modifié les règles du jeu en votre faveur et facilité l’expropriation des simples actionnaires : Vous pouvez forcer le retrait de la cote dès que vous avez 90 % des actions au lieu de 95 avant 2019.
Il n’y a qu’une ombre à votre tableau : La dette.
Tout ceci serait du pur génie si vous financiez vos opérations par la valeur ajoutée de vos entreprises… Mais le compte n’y est pas et la réalité est bien plus simple et brutale : C’est la dette qui vous permet tout.
Pas les bénéfices de vos entreprises, pas vos investissements, simplement la dette qui n’est plus liée depuis longtemps aux données économiques.
La dette et rien que la dette : Pas le talent mais le copinage et la proximité du tuyau à liquidité.
L’équation est simple et le cercle vicieux enclenché : Ceux, comme vous, qui possèdent davantage utilisent le levier du crédit qui leur est ouvert pour exproprier ceux qui ont moins à grands coups de fausse monnaie. Et plus ils possèdent, plus ils exproprient. Tant pis pour eux si les autres n’y comprennent rien, tant pis pour ceux qui se croient protégés à l’ombre des puissants.
D’une certaine manière, les banques centrales retrouvent le caractère privé et spoliateur de leurs débuts. Vous avez lu avec ironie les grandes louches de propagandes publiées dans Les Echos sur les origines de la Banque de France.
Mais il y a l’épée de Damoclès de la dette.
Normalement les crises nettoient à grandes eaux les folies prédatrices comme les vôtres et tant d’autres.
Car vous n’êtes pas le seul, ni à votre coup d’essai :
- Patrick Drahi vous a devancé avec Altice (SFR) ;
- Friede Springer en Allemagne avec le groupe de presse Axel Springer ou encore ;
- Charles Dunstone avec l’opérateur TalkTalk au Royaume-Uni et ;
- Vous-même avez déjà retiré le géant de la production audiovisuelle Mediawan l’année dernière (AB Productions, EuropaCorp…).
C’est la grande fonction des crises que tout le monde semble avoir oubliée sauf vous.
Les crises ne sont pas morales, elles sont utiles : Elles rétablissent les économies dans le réel de leurs fonctions productives et utiles. Elles ne rendent pas nos sociétés plus justes, simplement mieux adaptées à la réalité du monde.
À force de refuser les crises, vous savez bien que c’est tout le système financier qui pourrit et les monnaies mêmes qui seront perdues… Mais qu’importe que l’argent ne vaille plus rien lorsque vous avez déjà tout acheté.
Qu’importe qu’il soit inscrit dans les comptes d’iliad et de tous les grands groupes surendettés que les clients paieront demain par l’inflation galopante vos vilenies d’aujourd’hui.
Qu’importe qu’il soit déjà écrit dans les comptes des banques que les épargnes seront emportées, dévalisées par avance par vous et quelques autres.
Vous n’avez pas plus de pierre philosophales que les alchimistes du Moyen Âge et eux mais n’ont plus de mémoire et sans passé, il n’y a pas d’avenir, ils ne voient pas venir l’inéluctable :
Dormez-bien mes petits, regardez mes films et mes séries, lisez mes journaux et regardez mes écrans, restez chez vous, dépensez chez moi, divertissez-vous, haïssez-vous, détruisez-vous.
Oubliés Les Marchands du Temple, oublié Le Grand Inquisiteur, oublié 1984, oublié Le Joueur de flûte de Hamelin, oublié ne serait-ce que la pop corrosive de L’Homme pressé, oublié surtout L’Homme révolté.
Mais je ne suis pas Xavier Niel et à ce jeu, je sais bien comment ne pas perdre : Il suffit de ne pas jouer. Xavier Niel a raison, il n’est riche que de notre étourderie.
Le vin est tiré et il ne fait pas de doute qu’il faudra le boire jusqu’à la lie. Est-ce une raison pour nous avilir davantage ?
Notre plus grande faiblesse est de nous croire seuls.
Faites suivre. Partagez à votre carnet d’adresses et sur vos réseaux tant qu’ils le permettent encore.
À votre bonne fortune,
Guy de La Fortelle
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