et le superflu finit par priver du nécessaire

13 09 2019
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Mon cher lecteur,
 
Il y a de la grève dans l’air, un président d’Assemblée qui n’en manque pas et une grande réforme qui n’en a plus, mais… 
Qu’aimerait bien avoir l’air. 
Mais qu’a pas l’air du tout
Faut pas jouer les riches
Quand on n’a pas le sou. 
Et des sous, voilà qu’il en tombe du ciel comme de la manne au désert.
 
Et personne pour s’en réjouir ? À peine une manchette dans les médias ? rien à la une ?
 
Ces miracles sont comme de mauvais tours de magie, l’illusion ne marche qu’une seule fois : À la seconde, déjà l’on se méfie.
 
Ainsi la BCE abaisse son taux directeur de -0,4% à -0,5% et relance ses achats d’actifs (on ne parle plus de QE en France, sans doute par pudeur) à hauteur de 20 milliards par mois, sine die.
 
Cela semble modeste comparé aux 80 milliards par mois de 2017 mais là n’est pas le problème : cela fait réchauffé et plus personne n’y croit vraiment. Il y a encore quelques réaction mécaniques comme le sursaut d’un banquier un instant assoupi mais je vous le disais déjà cette semaine : les banques centrales ont perdu l’initiative.
 
Et pourtant 20 milliards par mois, c’est beaucoup : cela représente 135€ par ménage de la Zone Euro chaque mois ! 
 
Ajouter 135€ à un revenu médian de 1 500€ c’est considérable !  Je suis sûr que vous voyez comme moi comment les utiliser, les CONSOMMER puisque c’est le mot magique. 
 
Pour être précis, c’est comme si la BCE reprenait 135€ de vos dettes chaque mois, par exemple sur votre crédit immobilier.
 
En théorie, cela a le même effet sur votre richesse, vous vous retrouvez 135€ plus riche, mais c’est très différent en pratique
 
Si l’on vous retire 135€ d’un crédit de 100 000€ et que vous ne devez plus à la banque que 999 865€
 
Eh bien cela ne change pas grand chose en fait. Mettons que vous ayez un crédit à 2% (eh oui les taux sont bas), vous gagnez 0,23€ par mois en intérêts… Des centimes ! Ce n’est plus du tout la même histoire.
 
Pourtant, avec un peu d’effort et de patience, mois après mois, 135€ après 135€, votre dette va se désalourdir, s’alléger même, ce qui vous semblait insurmontable ne devient plus que difficile et en étalant la charge, vous finirez par surmonter l’obstacle et rembourser cette dette qui vous étouffait, qui avait presqu’eue votre peau en 2008.
 
Et moi je devrais envoyer mon CV au service de communication de la BCE.
 
SAUF QUE PERSONNE NE REMBOURSE SES DETTES.
 
Cette télé dont vous rêvez, ce canapé, cette véranda, ces vacances, cette voiture, toutes ces publicités à la TV, ces rêves de gloire et de célébrité sur papier glacé…
 
et le superflu finit par priver du nécessaire.
 
Plutôt qu’économiser 23 centimes d’intérêts chaque mois et se crever à rembourser ce que l’on a déjà consommé, déjà acheté, déjà passé, dépassé… Pourquoi se priver ?
 
Pourquoi ne pas transformer ces 23 centimes en un crédit de 135 nouveaux euros, immédiatement consommables, assouvissables, et même 150 puisqu’entre temps les taux ont encore baissé.
 
Le cercle vicieux de la production infinie de dettes est enclenché.
 
Si vous étiez seuls, encore pourriez-vous vous modérer. Mais voilà que tous vos voisins s’élancent et n’en semblent pas moins heureux, au contraire : ils sont justifiés, honorés, décorés. Ils sont les champions de la croissance et de l’économie.
 
C’est que rembourser ses dettes ne fait pas de croissance, pas de recettes pour l’État, cela fait de la déflation, de la récession.
 
 
Les banques sont au beau milieu d’une injonction contradictoire qui rend fou : d’un côté les banques centrales leur ont donné un sursis après 2008, une voie pour se désendetter et nos économies dans leur suite et de l’autre elles exigent que ces mannes servent à l’économie réelle : à financer des entreprises, créer des emplois, de la consommation et de la croissance.
 
Mais voilà : il y a en chacun de nous un consommateur et un producteur. Et vous n’êtes pas tant les deux que vous croyez. Il en va de même pour les entreprises.
 
Les politiques des banques centrales ont fait des entreprises de gigantesque consommateurs de ressources pour des résultats médiocre dans l’ensemble. 
 
À force de projets révolutionnaires, de moyens considérables et de financements démesurés…
 
le superflu finit par priver du nécessaire
 
Le premier effet que va avoir la nouvelle politique de la BCE est de multiplier et engrosser les zombies, entreprises zombies, États zombies, ménages zombies qui ne survivent que grâce à l’accumulation de dettes et consomment des ressources et de l’énergie, souvent considérables à des choses inutiles. Comme un pâtissier qui emploierait des salariés, un atelier, un magasin et de délicieux produits pour créer des gâteaux infects… Et même s’ils sont toujours meilleurs que ceux du voisin, nous nous serions régalés des fruits frais et surtout toutes ces ressources auraient pu être employées à des choses utiles et plus importantes.
 
Plus la BCE fait crédit et moins il se trouve d’argent pour le nécessaire.
 
Et nous nous en rendons compte.
 
Le superflu a fini par nous priver du nécessaire.
 
À votre bonne fortune,
 
Guy de La Fortelle
 
PS :  et le superflu finit par priver du nécessaire vient de Laclos, et sa sublime description de la décadence dans Les liaisons à la veille de la Révolution. Lettre 54, à propos d’un mariage d’amour ou de raison : 

Leur naissance est égale, j’en conviens ; mais l’un est sans fortune, et celle de l’autre est telle que, même sans naissance, elle aurait suffi pour le mener à tout. J’avoue bien que l’argent ne fait pas le bonheur ; mais il faut avouer aussi qu’il le facilite beaucoup. Mademoiselle de Volanges est, comme vous le dites, assez riche pour deux : cependant, soixante mille livres de rente dont elle va jouir ne sont pas déjà tant quand on porte le nom de Danceny, quand il faut monter et soutenir une maison qui y réponde. Nous ne sommes plus au temps de Madame de Sévigné. Le luxe absorbe tout : on le blâme, mais il faut l’imiter, et le superflu finit par priver du nécessaire.

 

 

 

 
 

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