Les conditions de la prospérité

07 08 2018
Paul Cezanne Nature morte au crane
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Mon cher lecteur,
 
Vous vous souvenez de Viadeo ?
 
Il m’a fallu 10 minutes pour retrouver ce nom tant le concurrent français de LinkedIn — réseau social pour professionnels — est tombé dans l’oubli.
 
En 2016, Viadeo a été cédé au Figaro, à la barre du tribunal, pour 1,5 millions d’euros.
 
La même année, Microsoft rachetait LinkedIn pour 26 milliards de dollars : 15 000 fois plus.
 
Pourtant en 2010, Viadeo comptait deux fois plus d’utilisateurs en Europe que LinkedIn.
 
Que s’est-il passé ?
 
En 2008 LinkedIn levait 100 millions de dollars pour se développer… Viadeo collectait 3,4 millions d’euros lors d’un tour de table en 2009.
 
Les Français n’avaient aucune chance dans un marché ouvert.
 
Les Américains n’étaient pas meilleurs. Ils étaient beaucoup plus riches.
 
C’est symptomatique : cette raison explique l’absence dramatique de grands groupes européens dans le secteur des nouvelles technologies.
 
Les Chinois, eux, n’ont pas fait cette erreur. Ils ont protégé leur marché et construits la seule concurrence de taille à s’attaquer aux géants américains (Baidu, Tencent, Alibaba…).
 
C’est gros comme l’Empire State Building en plein Paris mais chut ! ne vous avisez pas de dire dans vos dîners que nos frontières sont de vraies passoires : vous vous ferez traiter de Nazi la bouche en coeur et l’argument définitif (et définitivement nul) : les frontières c’est la guerre.
 
Je suis le premier à rêver d’un monde sans guerre ni frontière où chacun puisse vivre librement et dignement.
 
Mais entre les rêves et la réalité, il y a un fossé grand comme l’Atlantique.
 
C’est un fait que les États-Unis financent leurs entreprises de manière bien plus agressive qu’en Europe. C’est à la fois culturel (merci le Far West), financier (merci le roi dollar), et commercial (merci le plus gros marché intégré du monde).
 
Les entreprises américaines ont donc un avantage majeur sur les entreprises européennes : elles ont beaucoup plus d’argent pour se développer… Et tuer leur concurrence.
 
Il y a à cela 3 solutions :
 
  • Solution 1 : Messieurs les Américains, excusez-nous mais nous ne sommes pas de taille, restons chacun chez nous et les moutons seront biens gardés (rappelons-nous dans 5 ans) ;
  • Solution 2 : Nous prenons les mesures nécessaires pour nous mettre au niveau des États-Unis —voeu pieux ;
  • Solution 3 : Nous acceptons d’être le 51e État des États-Unis. Nous déménageons notre capitale de Bruxelles à Washington. Et les Français qui veulent réussir feront comme les habitants du Wyoming ou du Montana, ils iront chercher fortune à New York ou dans la Silicon Valley.
 
Quelle que soit la solution retenue, tant que les populations l’acceptent, en 2 générations, tout le monde aura oublié que cela aurait pu être différent et roulez jeunesse.
 
Le problème, c’est que nous marchons sur la tête :
 
  • Nous négocions tous les traités de libre-échange possibles (solution 3),
  • Tout en nous désolant de la fuite de fleurons, notre industrie, notre jeunesse et de nos cerveaux (solution 2),
  • Et sans accepter les règles du jeu pour nous hisser à la hauteur de nos voisins transatlantiques (solution 1).
 
Plutôt que de vendre Viadeo à LinkedIn, ou d’interdire LinkedIn en France,
nous avons injecté 20 millions d’argent public à partir de 2014 dans Viadeo via la Banque Publique d’Investissement (BPI), en pure perte : c’était trop peu, trop tard.
 
Pis encore, la BPI a mis tout son poids dans un Viadeo à la déroute alors même que Leboncoin, site de petites annonces, était en train de devenir le premier site privé d’offres d’emplois en France, sans tambour ni trompette. Le vrai réseau de professionnels après LinkedIn, ce n’est pas Viadeo c’est Leboncoin. Bravo la BPI !
 
Que voulez-vous la France est un pays où le capital-risque est tenu par des fonctionnaires : Nicolas Dufourcq, son patron, véritable plaque tournante de l’investissement en France est un énarque de l’inspection des finances.
 
Il faut le voir Monsieur Dufourq se féliciter sur les plateaux que plus un financement d’entreprise, petite ou grande ne se fasse sans lui… Soviétique, je vous dis.
 
Ils doivent bien rire à New York.
 
Multipliez ce genre de comportement incertain année après année et vous avez la recette pour planter une économie dans ses grandes largeurs.
 
Remarquez que c’est exactement ce qui est arrivé au Minitel : nous damions le pion aux américains. Mais c’est Internet que vous utilisez aujourd’hui.
 
Airbus, Ariane, TGV, Concorde, Minitel…
 
Il n’est pas si loin le temps de notre gloire.
 
Ce ne sont pourtant pas les hommes qui manquent.
 
Ce qui manque ce sont les conditions de la prospérité.
 
Prospérité : c’est étonnant comme cette idée que nous devrions chérir a disparu de la circulation.
 
Je vous parlais dans ma lettre précédente de la maxime du philosophe Anglais Francis Bacon :
 
La richesse est comme un tas de fumier, elle pue quand on l’entasse, mais porte de nombreux fruits quand on la répand.
 
  • En France on entasse les financements dans la BPI.
  • On entasse l’activité dans les grands groupes.
  • On entasse les grandes décisions dans l’État.
 
Ce sont les mêmes trombines que l’on retrouve dans la grande fonction publique, les grands groupes et la BPI : 3 facettes de la même technocratie.
 
Il y a quelques années, j’ai rencontré un énarque qui rentrait d’une mission en Afrique pour un groupe français. Ses 5 années là-bas s’étaient soldées par un échec (il ne le disait pas bien sûr). Il était de retour en France, il avait 40 ans.
 
Eh bien croyez-vous qu’il se serait remis en cause, aurait refait son CV et appris de son échec ?
 
Pas le moins du monde, son statut d’énarque et son entregent lui avaient assurés un financement de la fameuse BPI. Il cherchait à créer une entreprise… Il n’avait ni idée, ni projet mais de l’argent public, il en avait.
 
Cet homme brillant et charmant au demeurant était tout sauf un entrepreneur.
 
Mais c’est à cette aristocratie technocratique que l’on fait les ponts d’or… Même les plus absurdes.
 
Plus récemment, j’étais à une conférence sur les cryptomonnaies. Il y avait-là tout un parterre d’informaticiens en tongs et T-shirts imprimés, les cheveux de couleurs improbables et les tatouages exubérants. Ces joyeux fou-dingues étaient à peu près inemployables en entreprise : pas tant par leur apparence que par leur rejet desdites entreprises.
 
Ils sont pourtant parmi les plus brillants développeurs de leur génération, se découvrent mathématiciens de génie et doués d’une force de travail et d’innovation peu courante. Dans l’univers des cryptomonnaies où seule la compétence compte, il n’y a d’autre discrimination que celles du génie et du travail.
 
Les projets qu’ils développent répondent aux questions les plus brulantes et les plus angoissante de notre époque.
 
Est-ce qu’ils réussiront ? Au fond je n’en sais rien.
 
Est-ce que le monde se porterait mieux s’ils réussissaient : je le crois profondément.
 
Est-ce que la BPI saura les aider à se développer : non, c’est une certitude, ils ne sont pas assez bien habillés.
 
De vous à moi, les piercings et les tatouages ne sont pas ma tasse de thé, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait un costume 3 pièces pour pouvoir prétendre à ma confiance, surtout lorsque ces costumes ont prouvé mille fois habiller fieffés coquins et sombres requins.
 
Les apparences, titres, médailles et autres cocardes sont un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.
 
C’est l’objet de cette lettre que de déshabiller, ausculter et trier jour après jours les banquiers et financiers et les investissements qu’il vous proposent.
 

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À demain,

L’investisseur sans costume.

 


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