Plus c’est gros, plus ça casse

10 09 2019
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Mon cher lecteur,
Un cheval boiteux est rare,
Or ce qui est rare est cher,
Donc il faut investir en bourse sur des chevaux boiteux.
 
L’essentiel est de refiler le cheval boiteux comme un mistigri à un investisseur candide : sentez-vous visé. C’est ce qui s’est passé avec Uber au printemps.
 
Récemment nous avons pu goûter une nouvelle version de ce savoureux sophisme :  
Une régie immobilière utilise des technologies informatiques,
Or une entreprise technologique est chère,
Donc une régie immobilière est chère.
 
Depuis 10 ans les entreprises technologiques confisquent les profits, on comprend aisément l’intérêt de l’escamotage :
 
Les entreprises technologiques confisquent les profits 
 
Car c’est bien un escamotage.
 
Nous allons causer aujourd’hui d’une incroyable entreprise, WeWork, dont le succès tient plus à l’arnaque du Turc mécanique qu’à la révolution annoncée et dont l’introduction en bourse vient de partir en fumée
 
Et si je vous en parle, c’est parce que le monde est en train de s’en rendre compte. Après s’être fait avoir une fois avec les taxis technologiques, la régie technologique est en train de se casser les dents, et les bras et les jambes. Alouette.
 
Toute l’ambiguïté de WeWork tient dans sa description sur Google :
 
WeWork google 
Solution d’espace de bureau et de travail
WeWork est en train de révolutionner la façon dont les gens et les entreprises travaillent.
 
D’un côté, WeWork loue des espaces de bureaux, ce qui n’a franchement rien de révolutionnaire ni de particulièrement rentable d’ailleurs (sauf à détenir le foncier). De l’autre, ils prétendent révolutionner la façon dont les gens et les entreprises travaillent :   Travaillez comme une start up et vous aurez le succès d’une start up
 
Ah.
 
Avec WeWork les services généraux deviennent la direction la plus stratégique de votre entreprise : attention à la disposition de vos bureaux et l’emplacement de la machine à café, votre survie en dépend. Pour les ventes et la rentabilité en revanche on repassera…
 
L’idée est de mettre plein d’entreprises différentes au même endroit avec chacun son bureau, la même machine à café et une interface de gestion commune pour payer ses factures et réserver les salles de réunion… Et j’oubliais une variation, si possible nordique, d’un jeu type babyfoot pour faire start up.
 
Un bon coup de shaker marketing et vous obtenez un délicieux cocktail de communauté innovante, à succès, ouverte et multiculturelle.
 
C’est ce que l’on appelle le co-working et les espaces de travail partagé poussent aujourd’hui aussi vite que les cafés Internet au début des années 2000, avec ou sans WeWork.
 
Entendons-nous, je travaille dans un co-working et m’y trouve très heureux. Nous sommes une bonne vingtaine d’indépendants et petits entrepreneurs : ça a de la gueule et du caractère.
 
Il y a à mon avis beaucoup trop de salariés en Occident. La tendance est d’ailleurs en train de s’inverser et les statuts d’indépendants, artisans et petits entrepreneurs reprennent une vigueur nouvelle : les espaces de co-working répondent aux besoin de ces gens-là.
 
Mais il ne faut pas se tromper sur l’ordre : ce ne sont pas les espaces de coworking qui créent les entrepreneurs et indépendants mais l’inverse.
 
Comme d’habitude, les gens de WeWork se confondent avec la vague qu’ils surfent et se prennent pour les maîtres des éléments.
 
Généralement cela se finit mal. 
 
En l’occurrence, WeWork est déjà engagé à hauteur de 50 milliards de baux à long terme qu’ils doivent désormais rentabiliser grâce à une multiplication de factures de court terme. Si tout va bien, il peuvent éventuellement espérer un petit profit mais en cas de problème, ils ont tous les risques sur leurs épaules. WeWork est une énorme concentration de risque, un too big to fail immobilier qui sera bientôt de nature à déstabiliser des marchés aussi gigantesques que New York ou Londres.
 
La grosse arnaque de WeWork est de créer une fluidité, une liquidité factice ET massive : ils vous louent des millions de m2 de bureaux à la journée ou au mois qu’ils ont eux-mêmes loués à long terme. C’est comme le business des banques, c’est comme les ETF, c’est le mal suprême de notre époque construire des liquidités virtuelles qui n’existent pas dans la réalité.
 
 
Pour cela, WeWork est déjà en train d’engloutir une bonne dizaine de milliards de dollars en 10 ans et en toute décontraction : Adam Neumann, le PDG de WeWork achète des immeubles en nom propre qu’il loue ensuite à sa société. Il vend ses actions au prix fort, au moment d’entrer en bourse. Il a même réussi le tour de force d’enregistrer la marque « We » (Nous en français). Le mot est tellement vague et usuel qu’il est impossible de faire valoir un copyright dessus, ou alors je devrais payer des droits pour avoir utilisé leur marque 12 fois dans cette lettre. Mais il a tout de même revendu ces droits à son entreprises pour 6 millions de dollars.
 
Il y a quelques mois, WeWork était une startup valorisée 47 milliards de dollars. Elle en vaut moins de 20 aujourd’hui et si elle n’était pas considérée comme une entreprise technologique, mais la simple régie de bureaux qu’elle est, elle en vaudrait à peine 3, c’est-à-dire un échec gigantesque pour une entreprise dans laquelle plus de 10 milliards de dollars ont été investi depuis déjà près de 10 ans.
 
Le problème de WeWork est le même qu’Uber ou beyond Meat, Netflix, Deliveroo et toutes ces entreprises surcotées du moment : elles prétendent révolutionner des secteurs généralement sinistrés grâce à leurs technologies et des dizaines de milliards de dollars d’investissements.
 
Sauf que nous sommes en train de nous rendre compte que ces financements par milliards ne servent pas tant à changer le monde qu’à construire des positions dominantes et des monopoles indispensables pour pérenniser des entreprises à faible valeur ajoutée dans des secteur très concurrentiels.
 
La réalité est que ces entreprises sont des parasites.
 
  • Une application de réservation de taxis est quelque chose de très utile, pas Uber.

 

  • La baisse de nos consommations de viande est importante pour nos santés et environnements, pas les burgers végétariens de Beyond Meat.

 

  • Un espace de travail partagé est un lieu privilégié pour un entrepreneur, pas WeWork.
 
Cela fait près de 3 ans que j’écris cela mais ce qui change aujourd’hui, c’est que nous nous en rendons compte, je n’ai plus besoin de vous prévenir que ces introductions en bourse sont des passages de mistigris géants.
 
Une rupture est en train de s’opérer : les grands entrepreneurs et financiers des nouvelles technologies ne font plus rêver.
 
Nous nous rendons compte de l’arnaque : il n’y a pas besoin de ces grand monstres pour développer ces services et nouvelles technologies, c’est tout le contraire.
 
Alors que va-t-il se passer ?
 
Le cas de WeWork est particulièrement intéressant et de nature à nous éclairer sur l’avenir.
 
WeWork comptait lever 9 milliards de nouveaux financements avec son introduction en bourse : comment vont-ils faire si le robinet à liquidités se ferme soudainement ?
 
Dans ma prochaine lettre je m’intéresserai aux 3 personnages-clés de WeWork. Et je peux vous dire qu’ils ne sont pas piqués des hannetons…
 
À votre bonne fortune,
 
Guy de La Fortelle 

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