Témoignage extraordinaire dans l’affaire Alstom

31 07 2019
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Mon cher lecteur,
Je vous fais suivre aujourd’hui un entretien remarquable de Frédéric Pierucci réalisé par Thinkerview.
Frédéric Pierucci était directeur de la branche Power (turbines) d’Alstom juste avant son rachat par General Electric. Il a été arrêté aux États-Unis et a passé plus de deux ans en prison (dont un dans un quartier de haute sécurité) dans une grande manœuvre d’intimidation américaine pour mettre la main sur Alstom, qui fournit entre autre les turbines et pièces détachés pour nos centrales et sous-marins nucléaires.
Thinkerview Pierucci
Cet entretien lève le voile sur la guerre économique que mènent les États-Unis depuis plus de 10 ans et l’incapacité européenne à s’adapter à cette nouvelle réalité.
La question centrale que soulève l’entretien est :

Comment avons-nous pu laisser faire cela ? 

Les accusations d’incompétence ou d’allégeance de nos élites masquent il me semble la grande mutation du rapport de force entre la France (et plus largement l’Europe) et les États-Unis. La dernière manifestation de force de la France envers les États-Unis remonte au discours de Monsieur de Villepin à l’ONU contre la seconde guerre du Golfe en 2001. Depuis nous nous sommes couchés et nous en payons le prix.
Le dernier livre de Philippe de Villiers fait la lumière sur l’influence américaine sur la construction européenne.
J’aime pour ma part articuler ce rapport de force autour du dernier coup d’État en France.
Dans la nuit du 21 avril 1961, le président Charles de Gaulle échappe de justesse au putsch d’Alger, fomenté par 4 généraux dont le général Maurice Challe.
Ce que l’on ne vous dit pas en revanche c’est que le putsch d’Alger a été appuyé par la CIA et les services secrets américains, de l’aveu même du président Kennedy :
Le lendemain du putsch, le président des États-Unis, John F. Kennedy appela personnellement l’ambassadeur de France à Washington Hervé Alphand pour lui assurer qu’il n’avait rien à voir dans ce complot mais qu’il ne pouvait en dire autant de ses services secret « aux pouvoirs si étendus et si mal supervisés qu’ils pouvaient être derrière les manœuvres les plus improbables ».
Les « doutes » de Kennedy ont depuis été confirmés suite à la déclassification des archives secrètes de la CIA. Mais les livres écrits sur le sujet, dont celui de référence : The Devil’s chessboard (Le terrain de jeu du Diable) n’ont jamais été traduits en français.
N’oubliez pas que nous étions au moment le plus dangereux de la guerre froide, juste avant la crise des missiles de Cuba. Pour les Américains, de Gaulle était coupable d’entente avec l’ennemi. En 1946 il avait démissionné en soutien du parti communiste, 1er parti de France, écarté du gouvernement par l’ensemble des autres partis.
Or, c’est toute une armée de l’ombre qu’entretenait en France et en Europe Allen Dulles, grand manitou de la CIA.
Cette armée était appelé stay-behind groups, ceux qui restent derrière les lignes ennemies. Elle s’était développée depuis la Seconde Guerre Mondiale afin de s’assurer que l’Europe ne tombe pas dans le communisme.
À la chute de l’URSS, c’est le premier ministre italien Giulio Andreotti qui vendit la mèche de cette armée secrète, appelée Gladio en Italie, dénonçant le « secret politico-militaire le mieux gardé et le plus préjudiciable depuis la Seconde Guerre Mondiale ».
Cette armée était entretenue à grands frais. À chacun de ses séjours à Paris, Dulles s’installait dans une suite au Ritz où il recevait ses obligés et distribuait des valises de billets. Ils avaient tout prévu pour accueillir Challe à Fontainebleau, où l’OTAN avait alors ses quartiers, et marcher sur Paris avec mille hommes.
Si le général Challe, héros de la Seconde Guerre Mondiale n’avait hésité à l’instant décisif devant la gravité de son acte, nulle doute qu’il serait arrivé au Général De Gaulle la même chose qu’à son homologue américain Kennedy assassiné quelques mois plus tard.
L’affaire Alstom s’inscrit dans cette réalité historique qui nous apprend que les États-Unis ne sont ni un allié, ni un ennemi, mais un partenaire incontournable, aussi utile que dangereux, avec qui la force est le seul rapport possible.
À votre bonne fortune,
Guy de La Fortelle
PS : De Gaulle dira en confidence à Malraux quelques mois avant sa mort :  « Mon seul adversaire, celui de la France, n’a aucunement cessé d’être l’Argent». L’Argent avec un grand A,  c ‘est encore vrai aujourd’hui.


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