Une leçon de 4 briques

05 11 2018
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« Vous avez un bureau adapté ? »
 
Cette question m’a été posée il y a quelques années par le médecin de la visite médicale.
 
« Votre entreprise a-t-elle mis à votre disposition un bureau, une chaise et du matériel adapté à votre taille ? » glapit le toubib déjà excédé par la vivacité de mon regard merlan-frit.
 
Comprenant enfin la question, ma première réaction fut de lui répondre en rigolant que je me cognais les genoux dans des bureaux trop bas depuis l’âge de mes 4 ans et que ce léger inconfort m’était tout à fait supportable… On a les problèmes qu’on peut.
 
Il faut vous dire que je fais un peu plus de 2 mètres de haut et 120 kilos de large.
 
Que n’avais-je dit là… Le médecin me tendit rageusement une ordonnance prescrivant à mon employeur de m’acheter du matériel sur mesure que je m’empressais de jeter à la poubelle (l’ordonnance, pas le bureau).
 
Je racontais l’histoire, encore goguenard, à un collègue du CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) qui blêmit quand je lui dit que j’avais mis l’ordonnance à la poubelle. Il me fallut encore un bon moment pour le convaincre de ne pas mettre le sujet à l’ordre du jour de sa prochaine réunion. Heureusement plus personne n’entendit jamais parler du fameux bureau.
 
Ah, je sais bien ce qu’ils se disaient mon médecin de visite médicale et mon collègue de CHSCT… j’allais me casser le dos… Finir tordu, bossu…Devenir un poids pour la société et creuser à moi seul le trou de la sécu : j’étais un dangereux irresponsable.
 
Mais sapristi, je suis un grand garçon : je fais ce qu’il faut pour ma santé et même je prépare mes enfants aux atavismes familiaux comme mes parents n’avaient déjà pas manqué de faire, ce pour quoi mon dos et moi-même — nous nous portons très bien merci — leur vouent une reconnaissance éternelle.
 
Mon exemple de bureau trop bas est bien peu de chose mais il existe aujourd’hui quelques milliers de personnes en France qui trouvent la Sécu suffisamment étouffante pour demander à en être radier et s’assurer par eux-même. Notez bien qu’ils ne contestent pas l’obligation de s’assurer mais l’obligation de s’assurer à la Sécu.
 
Je ne connais pas ces personnes mais étant donné le parcours du combattant qui s’annonce, j’imagine que leur mécontentement est profond et leurs raisons sérieuses.
 
Peut-être même que leur démarche pourrait-elle lever quelques problèmes qui pourraient alors être résolus pour le bien de tous. Ce n’est bien sûr pas ce qui se passe.
 
La Sécurité Sociale est un monopole légal en France. Son petit groupe de détracteurs (environ 2 000 semble-t-il) justifie sa démarche par des règlements européens datant de 1994 ouvrant le secteur de l’assurance à la concurrence : il faudrait les laisser sortir. La France et l’UE ont depuis maintes fois désavoué l’argument. Le monopole tient bon et les chefs de file des irréductibles ont été condamnés à des amendes et peines de prison avec sursis cette année : on ne rigole pas avec la Sécu.
 
Mais pourquoi tant de haine ?
 
Pourquoi empêcher cette poignée de gens de faire selon leur goût ?
 
À vrai dire, il n’existe pas de bonne raison.
 
J’en veux pour preuve qu’il y a en France, Oh ironie, un certain nombre de personnes que la Sécu refuse tout net d’assurer.
 
Il s’agit des impatriés, c’est-à-dire les ex-expatriés qui rentrent en France après leur séjour à l’étranger.
 
Il existe un délai de carence allant de 1 à 3 mois durant lesquels la Sécu ne vous assure pas, c’est le temps de vous rebrancher dans le système.
 
Comment font ces impatriés? Ils prennent une assurance privée pour cette période : ce n’est pas très compliqué, ça marche et cela ne coûte pas une fortune (ce qui est plus compliqué, c’est que la Sécu traite votre dossier correctement… cherchez l’erreur).
 
Il n’y a donc aucun problème administratif, technique ou même moral à ce que quelqu’un soit assuré en France en dehors de la Sécu.
 
Quant à l’accès et à la qualité des soins, le monopole n’a rien à voir avec l’universalité de l’accès au soin et rien n’empêche de mettre un seuil minimal de prestations comme c’est le cas en Suisse dont le système de santé, totalement privé et concurrentiel, est parmi les meilleurs du monde (la Suisse dépense 12% de son PIB pour sa santé contre 11% en France).
 
Je ne sais pas si vous vous souvenez de l’époque où nos journaux s’enorgueillissaient du trésor national de notre système de santé, supposément le meilleur au monde… C’était il y a bien longtemps déjà, dans son dernier Index de la prospérité, l’Institut Legatum de Londres mettait la France à la 18e position, rang certes encore honorable mais en pleine dégringolade.
 
De là à penser que la Sécu protège son privilège plus que votre santé… Il y a un pas que je ne franchirai pas.
 
Il y a plus important : l’argent. Regardons les finances.
 
La Sécu est en déficit permanent depuis une bonne vingtaine d’années. Il en résulte son fameux trou à 150 milliards qui, par définition, n’est pas de l’investissement pour l’avenir mais la prise en charge de notre santé et de notre bien-être par nos enfants et petits-enfants.
 
Cette dette est déjà à peu près irremboursable malgré les grandes déclaration tarte à la crème du gouvernement (j’avais écrit à ce sujet : https://www.investisseur-sans-costume.com/ceci-nest-pas-un-trou/ ).
 
Mais si en plus de cela, vous laissez les assurés changer de crèmerie et passer à des systèmes privés, privant ainsi la Sécu d’importants revenus sans qu’elle sache se délester de ses coûts gargantuesques, alors vous pouvez être sûr que ses comptes dont on attend déjà l’équilibre comme l’arlésienne repiqueront de plus belle dans le rouge.
 
Si aujourd’hui l’État est arc-bouté sur sa Sécu au point de donner des peines de prison à ceux qui cherchent à s’en passer (c’est tout de même un peu fort), ce n’est pas pour votre santé mais pour ses finances.
 
C’est le prix de la mauvaise gestion, le prix caché de la boulimie de dettes que l’on rêve trop souvent indolore : vous payez de plus en plus pour avoir de moins en moins.
 
L’État providence est né pour soulager les hommes des fatalités de la vie. Il mourra en leur interdisant de respirer.
 
Ce monde kafkaïen nous ferait oublier jusqu’aux choses les plus simples de la vie.
 
La semaine dernière, je travaillais sans m’en soucier sur un bureau… trop bas. J’étais dans la famille de mon épouse. Mon beau-père me voyant les genoux empêtrés alla chercher 4 briques qu’il plaça sous chacun des pieds du petit bureau.
 
J’ai fini mon travail sur un bureau, pour une fois à ma taille.
 
Cela n’a rien coûté d’autre que 4 briques qui trainaient dans une grange et un moment d’attention — mais cela n’a pas de prix. C’est que mon bureau de 4 briques fait quelque chose que rien parmi tout le matériel spécialisé qu’aurait pu préscrire le médecin ne peut faire : il ne réconforte pas tant le dos que le coeur.
 
J’hésite à apporter 4 autres briques à mon bureau, je ne suis pas sûr que mon collègue du CHSCT trouve cette solution règlementaire…
 
Guy, l’investisseur sans costume

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